TEXTE 2 : LE NEZ

Il fourra alors ses doigts dans le pain et en retira… un nez ! Les bras lui en tombèrent. Il se frotta les yeux, palpa l’objet de nouveau : un nez, c’était bien un nez, et même, semblait-il, un nez de connaissance ! L’effroi se peignit sur les traits d’Ivan Yakovlévitch. Mais cet effroi n’était rien, comparé à l’indignation qui s’empara de sa respectable épouse.

« Où as-tu bien pu couper ce nez, bougre d’animal ? s’exclama-t-elle. Ivrogne ! filou ! coquin ! Je vais aller de ce pas te dénoncer à la police, brigand que tu es ! J’ai déjà entendu dire à trois personnes qu’en leur faisant la barbe tu tirailles le nez des gens à le leur arracher ! »

Cependant Ivan Yakovlévitch était plus mort que vif : il venait de reconnaître le nez de M. Kovaliov, assesseur de collège, qu’il avait l’honneur de raser le mercredi et le dimanche.

« Minute, Prascovie Ossipovna ! Je m’en vais l’envelopper dans un chiffon et le poser dans ce coin, en attendant ; je l’emporterai plus tard.

– Il ne manquait plus que cela ! Crois-tu, par hasard, que je vais garder ici un nez coupé ? Espèce de vieux croûton ! tu ne sais plus que repasser ton rasoir ! Tu ne seras bientôt plus capable de raser les gens comme il faut ! Ah ! le maudit coureur, ah ! la brute, ah ! le malappris ! Et il faudrait encore que je réponde pour lui à la police ! Emporte-le tout de suite, saligaud ! Emporte-le où tu voudras, et que je n’en entende plus parler ! «

Ivan Yakovlévitch demeurait pétrifié de surprise. Il avait beau réfléchir, il ne savait que penser.

« Comment diantre cela est-il arrivé ? proféra-t-il enfin en se grattant derrière l’oreille. Étais-je plein quand je suis rentré hier soir ? Je ne m’en souviens plus… Et puis, vraiment, l’aventure tient de l’invraisemblable… Qu’est-ce que ce nez est venu faire dans ce pain ? Non, je n’y comprends goutte ! »

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